Report du Pro Tour de Dublin 2013 par Pierre Dagen

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Du 11 au 13 octobre se déroulait le Pro Tour Theros, à Dublin. C’était l’occasion pour la communauté Magic à travers le monde de voire les nouvelles cartes en action, entre les mains des meilleurs joueurs du monde. Et pour les heureux qualifiés, il s’agissait de démarrer en trombe la nouvelle année, avec en ligne de mire le fameux niveau Gold (35 points pros), synonyme d’invitation à l’intégralité des Pro Tours de l’année suivante.

Naissance d’une révolution

Mais côté français, il y avait un autre enjeu, plus symbolique. Après avoir été l’une des grandes nations du jeu, l’hexagone a en effet connu deux ans de disette, échouant à placer ses joueurs dans les top8 des compétitions les plus prestigieuses. Mais cet été, l’équipe de France de « Capitaine » Raphael Levy a remporté le trophée de champions du monde par équipe. Depuis, des rumeurs quant à un possible retour de la France au premier plan se faisaient entendre… et nous avions tous à cœur de les confirmer.

Pour cela, il fallait une préparation du tonnerre, capable de nous mettre sur un pied d’égalité avec les grosses écuries américaines que sont la team ChannelFireball et la team StarcityGames. Et c’est ainsi qu’est née la team Révolution : un rassemblement des meilleurs français qualifiés, associés à quelques joueurs étrangers de très gros calibre. C’est avec eux que je suis venu me préparer sur place, presque deux semaines avant le coup d’envoi officiel du tournoi.

La team Révolution

On ne soulignera jamais assez à quel point avoir une bonne équipe autour de soi est indispensable pour atteindre le plus haut niveau. Et c’est exactement ce qu’à réussi la Team Révolution, que je remercie au passage, à savoir :

  • Raphaël Lévy [France] (Hall of Famer & Champion du monde par équipe)
  • Guillaume Wafo-Tapa [France] (Vainqueur du QT La Rochelle)
  • Melissa DeTora [USA] (Pro Player Niveau Gold)
  • Rob Castellon [USA] (Top8 Pro Tour San Diego)
  • Jérémy Dezani [France] (Pro Player Niveau Silver, top8 GP Varsovie)
  • Louis-Samuel Deltour [France] (Pro Player Niveau Silver)
  • Miguel Gatica [Costa Rica] (Pro Player Niveau Silver)
  • Timothée Simonot [France] (Champion du monde par équipe et Pro Player Niveau Silver)
  • Yann Guthmann [France] (Champion du monde par équipe)
  • Stéphane Soubrier [France] (Champion du monde par équipe)
  • Paul Ferret [France] (Vainqueur du QT Chateauroux)
  • Guillaume Mauger [France] (Vainqueur du QT Anger)
  • …et moi-même, qualifié en gagnant le QT Lyon

Notre préparation

Pour réussir une performance dans un tournoi aussi difficile que le Pro Tour, être bien préparé est un strict minimum. Et pour cela, s’entourer de très bons joueurs (et, pour les plus chanceux, de très bonnes joueuses) s’avère souvent déterminant, au point même qu’il est devenu rarissime de voire un loup solitaire dans les sommets du classement. Mais heureusement, le top niveau est finalement un milieu plutôt ouvert, dans lequel les gens sont en définitive plutôt accessibles et accueillants, peut-être parce qu’ils n’ont plus rien à prouver. Toujours est-il que l’ensemble du travail de préparation s’est déroulé dans une excellente ambiance, rendant les deux semaines que nous y avons consacrées à la fois utiles et extrêmement agréables.

Comprendre le draft Theros

La première étape, trop souvent sous-estimée, est de maitriser pleinement le format de draft. Comme ce format ne représente que 6 des 16 rondes suisses, on pourrait penser qu’il est plutôt négligeable. Sauf que c’est là que la différence entre les meilleurs et les autres se fait le plus sentir, et que vous pouvez le plus facilement prendre de l’avance sur le reste de la meute. Pour preuve, les joueurs du top8 affichaient à eux huit un score cumulé de 38 victoires pour seulement 8 défaites sur la portion draft de l’évènement, et deux d’entre eux ont tout simplement gagné leurs 6 rondes de limité. Nous avons donc multiplié les drafts, avec de courtes sessions de débriefing pour échanger nos impressions, les hésitations que l’on avait pu avoir devant un booster compliqué, les meilleures façons de jouer les parties dans ce format très particulier et nettement plus complexe que la moyenne… L’exercice fut quelque peu déconcertant puisque, comme tout le monde progresse à peu près au même rythme dans l’équipe, on ne gagne pas nécessairement plus au fur et à mesure que l’on s’entraine. Pour compenser, la plupart d’entre nous a aussi fait quelques drafts sur Magic Online, afin de se mesurer à une opposition différente et de bien vérifier que nous avions un peu d’avance sur le reste du monde.

Genèse d’un deck

Sur le construit, la préparation a été nettement plus chaotique. Un format aussi jeune que le nouveau standard est en évolution permanente, ce qui rend assez difficile d’anticiper ce que sera le métagame. A force de jouer des parties, de faire évoluer nos listes et nos réserves (trop souvent délaissées par les amateurs dans leur préparation), nous avions tout de même la certitude que le format tournerait beaucoup sur l’opposition entre d’un coté Esper, pour sa capacité à exploiter le mieux Révélation du sphinx, et de l’autre, les jeux verts agressifs combinant des créatures très puissantes et quelques Planeswalkers pénibles pour tenir dans la durée. C’est d’ailleurs un jeu rouge/vert agressif, exploitant notamment Domri Rade et Xénagos, le Fêtard qui a longtemps eu notre préférence. Mais ensuite, Antoine Ruel nous a fait parvenir de Paris un brouillon de liste pour un jeu bleu/noir dévotion visant à abuser de deux nouveautés Theros : Thassa, déesse de la Mer et Maître des vagues. Feeling so blue…

La réserve au cœur des débats

Il ne nous a fallu que quelques heures et une ou deux modifications (notamment, le choix de se limiter au bleu) pour réaliser le potentiel effarant de son jeu, capable de réduire en charpie les meilleurs jeux verts que nous avions jusqu’alors assemblé. Toutefois, battre Esper était affreusement compliqué : un problème majeur puisque nous pensions en croiser un grand nombre au Pro Tour. Mais à force de tenter des choses, et sur les conseils du maitre incontesté d’Esper (Guillaume Wafo-Tapa), nous avons trouvé le plan Jace, architecte des pensées pour soutenir notre Dévotion au bleu à travers n’importe quel nombre d’anti-créatures et de Verdict suprême. C’est dans ce genre de cas qu’avoir plusieurs cerveaux pour explorer toutes les pistes, et plusieurs paires de mains pour les tester en condition réelle, est le plus précieux. Et de fait, c’est sans aucun doute à ce moment-là que nous avons franchi le pas : 11 des 14 joueurs de l’équipe se sont laissés convaincre par ce deck à l’apparence pourtant douteuse.

Le tournoi

Avant de démarrer les hostilités, les participants étaient conviés à la cérémonie d’introduction du Hall of Fame 2013. Pour ceux d’entre vous qui ne seraient pas au courant, le Hall of Fame, c’est en quelque sorte le Panthéon de Magic, sauf que l’on peut y entrer sans être mort.

Les Hall of Famers, version 2013

Ce club très privé rassemble les légendes du jeu, des gens du calibre de Raphael Levy ou Kai Budde, et y entrer demande non seulement des résultats exceptionnels, mais aussi un investissement exemplaire dans la communauté Magic. Cette année, les heureux élus ont été :

  • Photo 2Louis Scott Vargas, le fondateur de la team ChannelFireball, l’inventeur des vidéos de draft, et accessoirement le détenteur du record de la plus importante suite de victoires en Pro Tour.
  • Photo 3Ben Stark, autre membre de ChannelFireball, réputé être le meilleur joueur de draft au monde et actuellement classé n°1 mondial par Wizard.
  • Photo 4William « Huey » Jensen, la référence des tournois par équipe (il a remporté le Pro Tour Boston en 2003) qui, pour marquer son retour dix ans d’inactivité, a tout simplement remporté le Grand Prix Oakland.

Sur les chapeaux de roues

Il est bien entendu agréable de participer à ces moments qui font l’histoire du jeu, et je n’ai pas rechigné à applaudir chacun des élus. En revanche, je ne m’attendais pas à les recroiser aussi rapidement : une fois les sittings du premier draft postés, je découvre que je vais drafter sous les caméras, directement à côté de Ben Stark. C’est ce que l’on appelle un démarrage en trombe, et c’est tant mieux : avoir l’opportunité de se frotter à la crème de la crème est ce qui donne toute sa saveur au Pro Tour.

Heureusement pour moi, ma préparation paye à plein, et je quitte la table avec un jeu blanc/rouge agressif ni bon, ni mauvais…sauf que j’ai la nette impression que mes adversaires en auront de bien pires, la faute à des boosters particulièrement dépourvus de bonnes cartes. Une impression qui se confirme rapidement, puisque je gagne mes deux premières rondes (dont une contre Ben Stark) sans trop de soucis, avant de profiter de quelques approximations de mon dernier adversaire, qui découvrait le top niveau, pour prendre le meilleur des départs. Mieux encore, deux de mes coéquipiers (Jérémy Dezani et Timothée Simonot) ont également saigné à blanc leur table.

Après le draft viennent 5 rondes de standard, et à cette occasion, nous avons la mauvaise surprise de constater que d’autres équipes (dont les redoutables américains de StarcityGames) ont également trouvé la liste du mono-bleu dévotion. Des mirror matchs sont donc à prévoir, mais en même temps, nous sommes rassurés de voir que d’autres pros ont donné du crédit au deck. De fait, Jérémy et moi gagnons 4 de nos 5 matches…en perdant tout les deux contre Sam Black, joueur renommé de StarcityGames, et donc aux commandes de mono-bleu, qui me passe à l’occasion un très joli bluff pour s’imposer dans la partie décisive. Treize de nos quatorze joueurs se qualifient pour le deuxième jour (avec quatre victoires ou plus, donc), ce qui est évidement un sacré motif de satisfaction.

La dernière ligne droite

Le deuxième démarre lui aussi par un draft, mais avec des tables nettement plus difficiles, les joueurs les moins dangereux n’ayant pas survécu aux escarmouches du premier jour. Ce qui n’empêche pas Jérémy de remporter un pod n°1bourré de stars, pendant que j’assure l’essentiel en signant un 2-1 dans un pod n°2 plus modeste grâce à un jeu blanc-bleu tempo (mon archétype favori, et de loin, dans ce format) de très bonne facture. D’autres francais se distinguent et rodent dans le haut du classement, notamment notre champion par équipe Yann Guthmann et le légendaire Guillaume Wafo-Tapa. De toute façon, les premières tables sont presque intégralement peuplées de joueurs célèbres au palmarès reconnu : Paul Rietzl, John Finkel, Patrick Chapin, Kamel Cornelissen n’en sont que quelques exemples.

La dernière ligne droite, cinq autres matches en standard, est donc la plus périlleuse. Mais c’est en définitive celle qui nous réussit le mieux : nous seulement mais Jérémy et moi maintenons notre avance pour assurer le top8 (en ne perdant qu’une ronde chacun), mais plus étonnant, Guillaume, qui avait commencé son tournoi par deux défaites le premier jour, a décidé qu’il ne perdrait plus la moindre partie à partir de là et obtient au finish un autre top8 de Pro Tour à ajouter à son impressionnante collection.

Le top 8

Lorsque la poussière retombe, c’est un top8 extrêmement prestigieux qui s’annonce :

top8_1top8_2

Un top8 intimidant

Au total, les participants de ce top8 cumulent le nombre impressionnant de 17 top8 de Pro Tours avant celui-ci, et c’est même le deuxième d’affilé pour Makihito Mihara…mais pour Jérémy et moi-même, c’est une grande première. Mais ce n’est pas la seule caractéristique de ce top8 : avec trois français, tous membres de l’équipe Révolution, nous partons déjà avec la satisfaction d’avoir fait honneur à notre pays, et à notre équipe. Par ailleurs, ce top8 illustre parfaitement l’impact énorme de Theros sur le standard : les diverses stratégies mono-color ou presque basée sur la Dévotion, donc sur le nouveau bloc, ont amené 6 joueurs en top8 ! C’est un souffle d’air frais sur le format, avec des jeux très originaux (la palme revenant sans conteste au Mono-noir dévotion de Kentarou Yamamoto), et un excellent signe pour l’année qui débute.

Duel fratricide

En revanche, il est peu triste que je doive affronter Guillaume, avec qui je partage ma chambre, dès le quart de finale. Au terme de quatre belles parties, l’efficacité de ma réserve (que Guillaume m’a aidé à construire…) et des sorties musclées me propulsent dans le dernier carré. Mais même dans la défaite, Guillaume ne démérite pas, alliant un fair-play exemplaire à des analyses toujours aussi justes sur le déroulement du match. J’espère pour lui, et pour Magic en général, que ce nouveau chapitre à son palmarès ouvrira la porte du Hall of Fame à celui que la plupart des pros considèrent comme le plus grand spécialiste des jeux contrôle.

Le dernier carré

Le déroulement des autres quarts de finale amène le tableau suivant :

top8_3

Jérémy a, comme prévu, triomphé sans trop de mal de Kamiel. En revanche, la victoire de Sam Black contre Kentarou Yamamoto, donné favori, est une surprise. Tout deux opposés à des adversaires bien plus expérimentés, et donnés perdant dans les pronostics, Jérémy et moi rions à l’idée que l’on pourrait se rencontrer dans une finale « comme à la maison ».

Contre toute attente, Jérémy « Spider » Dezani se débarrasse de Mihara avec facilité, trois victoire à rien. Lorsqu’il me fait un petit signe de la main pour me signifier « on se voit en finale » en se levant, je suis tenté d’y croire : je mène alors 2-0 contre Sam, la faute à une petite erreur de sa part et à des sorties exemplaires de la mienne. Mais, comme il me l’avait prouvé dans les rondes, Sam est un de ces joueurs qui trouve des ressources dans les pires situations. Dos au mur, il évite le pire dans une troisième partie très complexe, en anticipant parfaitement le plan que j’avais mis au point pour battre sa Faille cyclonique. Dans la partie suivante, une sortie médiocre de mon côté lui facilite les choses et nous ramènent dos à dos pour une belle pleine de suspense et de décisions tendues. Après avoir réduit les points de vie de Sam à presque rien, je me retrouve face à un gros problème lorsqu’il me surcharge une nouvelle Faille cyclonique pour stabiliser. Dans ce genre de situation très défavorable, j’entre dans ce que j’appelle le « Faerie Mode » : au lieu d’essayer de gagner avec ce que l’on a sur la table quand ce n’est simplement pas possible, jouer de façon à maximiser ses chances qu’une pioche un peu chanceuse puisse nous sauver. Et ce jour là, la réussite était définitivement de mon côté, puisque je pioche au tout dernier tour possible une Thassa, déesse de la Mer qui transperce les défenses de Sam et remporte le match.

Une finale comme à la maison

La finale m’oppose donc à Jérémy : pour mettre les choses en perspective, nous avons commencé à voyager et tester ensemble à l’occasion du Pro Tour Nagoya, en 2011. Autant dire que le facteur stress est nettement plus limité à ce stade, et que le contrat me semble déjà bien rempli. Pour autant, je joue la finale avec la volonté de gagner, et lui aussi. Ayant terminé devant moi dans les rondes suisses, c’est à lui de commencer, ce qui représente un bel avantage dans ce match-up. De fait, nous démarrons tout les deux très agressivement, mais le fait qu’il joue toute la partie avec un tour d’avance rend sa Thassa nettement plus menaçante que la mienne, et il capitalise bien sur cet avantage pour s’imposer plus facilement que la partie n’en donne l’impression de l’extérieur. Autant dire que, lorsque je mulligan à 5 pour la revanche, mes chances sont assez réduites. Mais après avoir été contraint de tuer ma propre créature avec une Hybridation rapide pour bloquer manger un de ses attaquants avec le jeton 3/3, je profite de qu’il pioche nettement trop de terrains pour ramener le score à égalité. C’est malheureusement mon chant du cygne, et deux excellentes sorties de sa part, conjuguées à une grande rigueur dans le choix de ses phases d’attaques, propulsent Jérémy au sommet ; il n’aura donc perdu qu’une seule partie tout au long de ce top8.

posté par Pierre D. le [23/10/2013]



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